Comment on a giletjauné la Marche des fiertés

Le Front Monstrueux Insurrectionnel nous relate la journée de la Marche des fiertés de Bordeaux où il appelait à la giletjauner (cf. Le rose et le jaune, Friction Magazine, mai 2019). À l’heure où la République en marche, la CFDT, des banques et des entreprises se taillent une place de choix dans ces Marches commémorant les émeutes du Stonewall en 1969, ce collectif queer bordelais rappelle l’exigence de tenir ensemble la critique de la répression conservatrice et celle de la gestion capitaliste de nos vécus. Voici comment le F.M.I. a giletjauné la Marche des fiertés de Bordeaux.

« La seule position possible est révolutionnaire »

Récit. Le dimanche 16 juin à Bordeaux, coup d’envoi de la Marche des fiertés que nous rejoignons en tenues Gilets Jaunes revues et corrigées par nos soins. Comme chaque année, nous devons d’abord subir le discours officiel du Girofard (organisateur de la pride de Bordeaux), un discours poli, plaintif et victimisant qui cache sous ses airs d’appel à l’unité une vision catégorisante et libérale de la population LGBT+.

Chacun dans sa chapelle, chacun ses revendications et les moutons seront bien gardés. Nous sommes en train d’être vendues à la République en Marche. S’octroyant même le luxe de se réapproprier les émeutes de Stonewall, tout en nous enjoignant à une marche dans l’amour et la bienveillance et sous protection policière.

Après de gras remerciements aux élus de la Mairie et à Alain Juppé, la marche s’élance et nous brûlons une effigie de Macron au milieu du cortège au son de la batucada qui accompagne les Gilets Jaunes chaque samedi à Bordeaux. Difficile de se faire entendre, face au rouleau-compresseur du char-panzer recouvrant cette masse arc-en-ciel de ses sponsors, publicités ciblées et sono militaro-festive.

Mais nous jaillissons lors du seul point lumineux de cette journée lorsque quelques personnes en jaune fluo déploient une banderole de huit mètres du haut du parking cours Victor Hugo « Nous errons dans un jour bombardé ». Plusieurs flics cherchent à quitter la marche pour attraper ces haut-perchées mais le cortège gilet jaune l’en empêche, les entourant et leur sommant de se casser. Les flics battent retraite, ne sachant quoi faire d’une bande de folles exaltées.

La marche stagne un bon moment, le temps que les choses se calment, puis vient le moment de prendre la tête de cortège de la pride. Avec joie et surprise, un collectif de personnes trans* nous emboîte le pas, nous ne sommes évidemment pas seules à vouloir re-politiser la marche. Nous tiendrons ensemble le cortège de tête jusqu’à l’arrivée, fermement et avec humour comme à notre  habitude, derrière la banderole du collectif trans* « Femmes trans incarcérées traitées comme les pires des hommes. #Prison pour personne » et la nôtre, tout en rose et jaune, reprenant une phrase mythique du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire : « La seule position possible est révolutionnaire ».

« Nous errons dans un jour bombardé »

Lors du lâcher de banderole à mi-parcours de la marche, nous avions diffusé le texte suivant :

« Certains disent que nous vivons une époque confuse, trouble, que nous manquons de repères, et de pères, et de mères. Pourtant, c’est très clair, nous n’errons pas en rond dans la nuit mais dans un jour bombardé. Il y a d’un côté l’État, les flics, Jean-Paul Gaultier, NRJ et la République en marche et de l’autre les déclassées, les révoltées, les sans-paroles (silence), les indomptables (bruit). On sait très bien où le pouvoir se trouve (porte-monnaie), qui le désire et qui l’attrappe. On sait aussi qui le sabote (toi ?), le pille et le refuse.

Changer la vie n’est pas seulement changer sa vie. Donnez-moi un la. Il se pourrait bien que nous soyons en train de perdre. Nous « LGBT+ », objets de chantage entre les libéraux et les réactionnaires, il y en a qui hésitent encore aux relents pétainistes (« Je fais don à la République de ma personne »). De la Gestapo à la Gestapette il n’y a qu’un pas, n’est-ce pas ?

Investir de sa personne, connaître sa valeur, il y a une niche pour tout, même pour nous. C’est simple, on devrait peut-être supprimer les miroirs, sans se surveiller par le drone qui nous suit du réveil au coucher (et pendant le rêve et ses pollutions nocturnes), sans la mise en valeur, sans la mise en tourisme (qu’est-ce qu’une pride ?).

C’était peut-être ça Stonewall, une émeute sans organisation, pleine d’énergie, insatiable, une émeute du quotidien, de folles, de trans, de pédés et de lesbiennes, comme lorsque la furie du quartier éventre nos sacs à poubelles en pleine journée, sortie de nulle part et sans retour à la niche. Nous aimons, le jour, la nuit, nos vies marginales, mineures, et leurs révoltes, entre les bombes. »

Un récit du Front Monstrueux Insurrectionnel

« Nous n’oublierons jamais nos illustres ancêtres révolutionnaires »

Enfin, voici le texte d’appel que nous avions diffusé dans notre ville :

« En 2019, nous n’éprouvons aucune fierté face à la lecture du mot d’ordre officiel : ‘De Stonewall à Bordeaux, un passé toujours présent’. On voit très bien les falsifications, les dénis et les mensonges initiés et ce qu’ils occultent. Depuis Stonewall rien, ou presque, n’est venu s’opposer véritablement à l’ordre des choses et à la sinistre réalité. Rien ne s’est amélioré et ce n’est pas le pinkwashing de la mairie, organisé main dans la main avec l’État, qui changera nos vies.

Stonewall, ce fut des émeutes contre la police, et aujourd’hui la police est toujours la première source de violence contre nous, contre les quartiers, contre les Gilets Jaunes : tout ce qui est en-dehors de la norme. Nous refusons tout lien avec le bras armé de l’État, même LGBT, pas de flics dans nos marches. De même, on se refuse à croire que ceux qui nous gouvernent, souhaitent autre chose que nous vendre au capitalisme qui tue le monde et toutes formes de vie.

Nous n’oublierons jamais nos illustres ancêtres révolutionnaires Marsha P. Johnson et Sylvia Rivera éhontément réutilisées sur l’affiche officielle. Mais comme nous vivons dans le temps présent nous avons décidé de choisir comme égérie cette année une Queen : Pamela Anderson. Ce ‘Pamela Bloc’ se veut comme une présence colorée, mouvante et radicale. Viens avec ton maquillage, ton masque, ta cagoule, ton gode-ceinture, tes slogans, tes pancartes, tes talons et ta flamboyance ressusciter Stonewall ».

F.M.I. (Front monstrueux insurrectionnel, Bordeaux)

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